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Section des sourds et malentendants socialistes
26 mars 2010

Plan 2010-2012 : « l’oubli » remarquable de l’enfance Sourde signante…

 A. Meynard. Psychanalyste. (Membre du laboratoire de psychopathologie clinique et psychanalyse université Aix Marseille 1)

Auteur de:

Quand les mains prennent la parole (Eres ,1995/2002)

Surdité, l’urgence d'un autre regard (Eres ,2008)

Enfance Sourde : soigner et faire taire (Eres, 2010, A Paraitre)


Il ne s’agit pas ici de porter analyse sur l’ensemble des mesures contenues dans ce plan mais d’indiquer ce qui nous parait être un oubli regrettable et tout à fait symptomatique. Un tel oubli est  en effet susceptible de laisser perdurer la situation même qui se trouve dénoncée par ce plan puisqu’il évite que l’on  s’attaque précisément aux raisons mêmes qui sont inductrices de la dite situation si préoccupante. S’il convient certes de saluer les mesures prises concernant l’accessibilité à un numéro d’urgence pour les personnes Sourdes et le développement de relais téléphonique,  il est cependant  à noter qu’en revanche, ce plan demeure notoirement indigent pour prendre en compte et impulser les aménagements nécessaires que réclament les tout jeunes enfants(futurs adultes de demain)  qui ne perçoivent pas les fréquences conversationnelles. Comment en effet prétendre vouloir s’occuper de la « détresse » des personnes Sourdes, voire de leur « fragilité », alors même que les facteurs en amont, largement responsables de ces manifestations, se trouvent déniés ?  Alors même que ces facteurs sont  précisément liés  en grande partie à la manière discriminative par laquelle dans leur petite enfance et enfance, on  empêche encore fortement ces sujets de parler, soit  de s’exprimer dans cette  langue signée vers laquelle ils se trouvent spontanément attirés grâce à leur famille, (que celle-ci soit Sourde ou entendante)? S’agirait-il donc de poursuivre dans les mêmes travers, de continuer à faire taire les enfants Sourds, de cumuler encore les obstacles de toutes sortes à une véritable prise de parole désirante, obstacles à la source précisément des souffrances et difficultés repérées ? S’agirait-il donc de ne rien changer aux dynamiques qui produisent ces situations fragilisantes, de les laisser perdurer donc, voire de les amplifier, tout en essayant de  les récupérer en paraissant s’occuper des effets désastreux qu’elles fabriquent ?


On aurait pu s’attendre  en effet à ce que ce plan soit enfin l’occasion de se pencher sur les problèmes de l’accès à la LSF
dans  l’accueil et l’éducation des tout jeunes enfants Sourds. Ceci aurait pu être enfin une réponse aux remarques que le CCNE émettait  en ce sens dès 1994 et qu’il a renouvelé dans son avis de 2008 concernant la nécessite de rendre présent la LSF aux enfants Sourds dès l’âge d’un an. Il suivait d’ailleurs en cela les analyses pertinentes de F. Dolto et de la plupart des cliniciens de ce domaine qui ont depuis longtemps attiré l’attention sur une telle situation discriminative. On aurait pu d’autant plus s’attendre à des mesures favorables à la diffusion de la LSF dans la petite enfance que, bien évidemment, ce qui se passe dans cette période est d’une grande importance pour la structuration psychique et la formation d’éventuelles zones de fragilité psychique. On aurait pu s’attendre à ce que tout de même, sans tomber dans des causalités réductrices , soient enfin reconnu des liens significatifs entre les orientations actuelles (qui mettent à mal l’existence de la LSF dans l’accueil puis l’éducation des Sourds) et les symptomatologies réactionnelles ainsi que les échecs scolaires gravissimes  que notent les cliniciens depuis déjà trois décennies au moins. On aurait pu s’attendre à ce qu’enfin, on en vienne à sortir de cette langue de bois bureaucratique qui se refugie derrière un soit disant « libre choix parental » alors qu’en fait, dans la réalité, ni les informations partiales délivrées par les experts du son, ni les offres éducatives, ne se trouvent assurer les conditions d’un tel « libre choix » ! On aurait pu s’attendre à ce qu’enfin on en vienne à sérieusement questionner cette filière de soin par le son qui se met en place dans les diverses régions de notre pays et constitue  une mise à mal organisée de la LSF, de son existence et de sa transmission, surtout pour les enfants Sourds de parents entendants.


On aurait pu s’attendre à ce que, tout de même, on n’en vienne pas à faire appel à des "enquêteurs  bénévoles" pour, au travers "d'entretiens ou de « questionnaires » prétendre sérieusement effectuer, selon une méthodologie douteuse et préoccupante, un recueil de témoignages  visant à faire un "état des lieux" d'une situation par ailleurs déjà fort bien connue et analysée . En effet,"l'état des lieux" de la situation des Sourds (ainsi que les raisons pouvant entrainer une éventuelle fragilisation psychique) a été fait déjà depuis de nombreuses années par les cliniciens travaillant auprès des Sourds. Nous rappelons ici le texte de l'appel.lsf largement diffusé et qui recueille déjà plus de 5000 signatures. Il a récemment  trouvé place sur le site l'appel des appels. Il  met en cause de manière argumentée  une conception dégradante de la reconnaissance  (simplement virtuelle) de la LSF
dans notre pays, surtout pour ce qui de la petite enfance et enfance Sourde. Il met en outre l’accent sur les effets délétères attendus et programmés de cette filière de soin s'appuyant sur trois axes (dépistage à deux jours /implant cochléaire/intégration individuelle en milieu ordinaire). Un tel abord sanitaire de l’enfant Sourd  demeure à ce jour hautement préoccupant précisément car il porte atteinte à l'accès précoce à la LSF pour ces sujets et leurs familles en réduisant la question du langage et de la parole à leurs seules formes sonorisées. Il ne condescend à livrer ce sujet aux signes qu’après avoir constaté et décrété lui-même, l’échec de l’oral : il fait ainsi de ces langues, non pas la marque d’une autre modalité du parler humain, mais l’indice d’un déficit.  Il accrédite de plus les préjugés infondés qui depuis le congrès de Milan visent à laisser penser aux familles que les langues signées s’opposent et entravent l’accès aux langues écrites et vocales alors que la pratique précoce  d’une langue signée est au contraire une dynamisation de la curiosité exploratoire de ces sujets vers d’autres formes langagières. On aurait pu s’attendre donc  à ce qu’un tel état des lieux (ainsi que les solutions proposées), ne se trouve  pas purement et simplement ignoré par les initiateurs de cette enquête. Mais, ces derniers,  paraissent en fait bel et bien soutenir une toute autre logique : c’est pourquoi  le silence de ce plan sur ces questions demeure assourdissant !


Face à un tel évitement, nous pouvons dès lors légitimement nous demander si cette entreprise de communication ne vise pas à soulever un problème, déjà connu et repéré mais, pour plaquer tendancieusement des solutions inverses de celles préconisées par ceux qui depuis de longues années ont  établi un tel état des lieux. En effet, pour en rester aux problématiques de l’enfance Sourde, à la lecture de ce plan, il apparait  que l'orientation actuelle de cette filière de soin à effets iatrogènes se trouve renforcée par diverses mesures annoncées.  Une telle logique ne peut que mener à l'aggravation de la situation existante pour les tout jeunes enfants Sourds qui continueront à être privés d'accès à la LSF
et aux échanges signés entre pairs, éléments pourtant très importants pour leur propre vitalité psychique. Les fragilisations  à venir n'en seront que plus conséquentes. Bientôt les jeunes Sourds ne pourront plus trouver ces langues signées dans leur environnement éducatif. Comment donc se constitueront-ils comme sujets ? Comment même s’étonner de la détresse ici produite ? Pourront-ils encore faire appel à des interprètes alors même qu’ils n’auront connaissance que des rudiments de ces formes langagières qui, en toute légalité, leur auront été dérobés ?  De telles  contradictions méritent attention et ne sauraient être masquées par les bonnes intentions affichées dans ce plan. Intentions qui ne prennent hélas aucunement en compte les mesures préventives dégagées par les cliniciens travaillant dans ce domaine depuis de longues années. Ainsi, la mise en place de circuits d’information précoces réellement porteurs et reconnaissant de la richesse de la LSF, la mise en acte de réelles mesures permettant de diffuser cette langue à un niveau sociétal, son inscription constitutionnelle comme langue des Sourds français, sa large  diffusion dans l’espace médiatique, ainsi que toute mesure facilitant sa dédramatisation pour les parents découvrant la surdité de leur enfant, ne sont nullement prévues ! Ceci n’est sans doute pas dans l’air du temps et demanderait à déplaire à de trop nombreux lobbies qui  tiennent avant tout à ce que les Sourds continuent à être perçus non seulement comme des handicapés de l’ouïe mais encore comme des malades  du langage et de la parole.

Nous continuerons donc à prétendre que le taux d’illettrisme n’est pas en relation avec l’inadéquation du  dispositif actuel, que les expériences concrètes fort stimulantes des pays nordiques qui se sont orientés dans une toute autre dynamique (laissant une large place aux langues signés), peuvent être négligées et ignorées ! Nous continuerons à laisser penser que les expertises effectuées par des spécialistes de la techno science audio phonatoire, juges et partie en ce domaine, sont dignes de foi alors qu’elles se révèlent porteuses de biais méthodologiques majeurs et relèvent d’un scientisme partisan qui ne respecte pas les principes  d’indépendance, d’autonomie et de contradiction, indispensables pourtant pour prétendre à validation scientifique. Plus précisément donc,  l’analyse de ce « plan 2010 - 2012 en faveur des personnes sourdes ou malentendantes », révèle magistralement la manière dont se trouve avalisés les abords réducteurs et partiaux de ces modes « d’expertises ». La confusion regrettable des problématiques liées à des surdités survenues précocement (avant l'insertion dans une forme langagière sonorisée), et celles survenant à des âges tardifs, tend à laisser penser que ces champs se recoupent alors qu'en fait ils réclament un d'abord radicalement différencié. Un tel découpage, dans les trois axes proposés comme au niveau des différentes mesures qu'ils déclinent, mélange les enfants,  adolescents et  adultes, faisant varier ce qui est appelé « déficience auditive » d'une manière qui ne fait ainsi jamais paraître avec clarté le rôle nécessaire et incontournable de la LSF pour ce qui est de l’accueil et de l’éducation de l’enfance Sourde. Ce tour de force est donc réussi en raison même de la méthodologie qui sous-tend la mise en forme de ce plan, qui parvient ainsi à mélanger les genres, à noyer les problématiques dans des flous sémantiques, à délayer les particularités, de telle sorte que plus aucun repère ne puissent rester opérant. Ce plan en vient même très curieusement à regretter[1] de manière tout à fait déconnectée des réalités du terrain éducatif, un certain monopole des « pôles bilingues » au détriment des dispositifs oral/LPC qu’il conviendrait  selon lui d’amplifier. Il est ici tout à fait piquant de remarquer qu’alors même que ces quelques dispositifs bilingues peinent à émerger  au sein de l'éducation nationale, le plan  se fasse déjà l’écho des préoccupations partisanes des experts du tout sonore. La notion tout à fait confuse et ambiguë de « libre choix », dont nous avons montré déjà les abus, se trouve une nouvelle fois instrumentalisée en vue de maintenir l’existant et des offres de services totalement déséquilibrées et défavorables à la LSF en matière d’options éducatives. De la même façon, pour ce qui est des dépistages précoces et de l'accompagnement parental, le plan soutient et relance ouvertement le fonctionnement des SAFEP et CAMSP alors que, dans ce domaine, ces derniers se trouvent adossés le plus généralement à une logique cherchant à éviter le recours à la LSF. De manière tout à fait réductrice ce plan en vient même à énoncer que « la surdité porte en elle les germes de difficultés à construire son identité, sa personnalité, son devenir adulte[2] » et à indiquer, sans préciser ses sources, un nombre plus élevés de dépressions et de suicides dans la population sourde comparativement à la population entendante. De manière alors mécanique mais révélatrice tout de même des fondamentaux et des conceptions bio médicales qui irriguent  son élaboration, il ne peut en appeler alors, afin de faire face à ces délicates questions,  qu’aux mêmes instances et mêmes logiques sanitaires qui président largement déjà aux orientations normalisatrices des dispositifs d'accueil de ces sujets[3].


Ceci se trouve tout à fait en phase avec les  tendances lourdes  qui, dans notre modernité, visent à fabriquer artificiellement des maladies de l’enfance à partir de ce qui est repéré comme écart à la norme et à la moyenne statistique. Rappelons ici que la SPN
(surdité permanente néo natale)  vient d’être abusivement reconnue par la Haute autorité en sante(HAS) comme posant  un « grave problème de sante publique » afin qu’un dépistage au deuxième jour de la naissance puisse se mettre en place sur tout le territoire et ce, malgré l’avis contraire  du CCNE.

Rappelons aussi  qu’une récente expertise Inserm en 2009 vient de faire synthèse de 5 expertises collectives (Santé de l’enfant : propositions pour un meilleur suivi : domaine des troubles des conduites, troubles des apprentissages ; troubles déficient auditif ; troubles visuels et mentaux). En ce domaine, comme en d’autres, les tendances et conceptions biomédicales du handicap adossées à un « eugénisme libéral », contribuent ainsi toujours plus à prétendre soigner des malades pour mieux faire taire des sujets. Rappelons que ce document de synthèse d’expertises collectives de 2009 mêle, de manière outrancière, les conclusions d’expertises de divers domaines de l’enfance pourtant déjà fortement critiquées et invalidées par la communauté scientifique Rappelons en outre  ici, qu'une certaine "santé mentale" dans le domaine de la psychiatrie a recours  massivement à des "évaluations" instrumentalisées par les laboratoires pharmaceutiques prétendant sans cesse avoir trouvé les  molécules miracles pour parvenir à ne pas entendre le  sens  des symptômes. Ce faisant elle participe précisément de cette "fragilisation" qu’elle prétend vouloir supprimer! Est-ce à de tels circuits que l’on prétend adresser la détresse des personnes Sourdes ? 

Rappelons pour finir que les Sourds ne sont aucunement des handicapés et qu’ils ne sauraient être réduits à des « troublés auditifs ». Que la surdité ne contient aucun « germe » suspect ! Que si l’on ne fait pas entrave à leur créativité langagière, ces sujets parlent et entendent avec les mains et les yeux  et peuvent enrichir ceux qui les côtoient de leurs modalités d’être en langage. Que ces langues signées pourraient être proposées aussi à tous les enfants entendants autour d’eux,  dans des pôles d’accueil et d’éducation rendant accessible l’accès au savoir et à la culture de la maternelle à l’université. Rappelons en outre qu’attendre l’effet incertain de rééducation portant sur les langues vocales alors que ces formes langagières signées permettent à ces sujets et à leurs familles d’exprimer très tôt  leurs émotions et ressentis, leur questions et demandes révèle, en fait, notre grave surdité. Notre grave difficulté à construire un espace sociétal respectueux de la fragilité, de la diversité et  de l’altérite. Notre grave difficulté à constituer un vivre ensemble non pas réglé par des normes sanitaires adossées au même, à l’identique, secrétant donc rejet et discrimination, mais au contraire, attentif à la singularité, à l’étrangeté du différent et à ce que sa rencontre  permet d’ouverture humanisante. 

 


[1] .« S’agissant de l'enseignement en milieu scolaire ordinaire, la mise en œuvre des parcours scolaires des jeunes sourds s'appuie sur des pôles bilingues (LSF et français écrit) dans les établissements ordinaires et dans les classes adaptées de certains établissements scolaires. Cependant il convient d'observer que ce parcours de formation est fortement dédié à l'enseignement de la/en langue des signes françaises. En effet, les dispositifs prévus pour les enfants ayant fait le choix de la langue française  seule, si ce choix s'accompagne d'une demande d'aide par le LPC, n'ont pas été instaurés dans les pôles créés par le ministère chargé de l'éducation nationale »(p17).  

[2] Op Cit.p 25

[3] Il se propose ainsi notamment de charger « la haute autorité en santé d'élaborer pour 2012 des référentiels nationaux sur la prise en charge de la détresse psychologique des personnes sourdes ou malentendantes (Op. cit.  p 26) » alors même,  que cette instance a largement démontré sa partialité et sa réticence farouche à diffuser les langues signées auprès de ces enfants ainsi qu’à sortir du seul référentiel neuro physiologique pour aborder les questions relatives aux diverses manifestations de la souffrance.

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