A Mathod, Pierre Auger-Micou vit la politique en langage des signes (Suisse)

»Conseil général - Une personne sourde de naissance siège au sein de l’organe délibérant du village nord-vaudois. Un cas plutôt rare. Rencontre. Les sourds ont aussi droit à la parole! Et à Mathod, c’est bel et bien le cas depuis cet été et l’assermentation de Pierre Auger-Micou en tant que conseiller général. Jeudi dernier, ce quadragénaire, sourd de naissance, siégeait donc pour la première fois au sein de l’organe délibérant du village qu’il habite depuis 2000. Cette participation relève d’une certaine logique quand on sait que Mathod compte trois sourds pour cinq cents habitants. Une proportion quatre fois plus élevée que sur l’ensemble de la Suisse. L’envie de s’engager pour la chose publique est relativement récente chez ce père de famille, débarqué dans la campagne nord-vaudoise de la «métropole» genevoise au début du siècle. «Je me suis rendu compte que le combat politique pour l’égalité des handicapés était important. Si les entendants sont constamment plongés dans un bain d’information, il faut bien comprendre que c’est totalement différent pour nous», affirme-t-il. Un exemple? Les programmes sous-titrés ne représentent que 6% de l’offre télévisuelle! Quant aux journaux, il faut savoir que les articles sont souvent compliqués pour des personnes dont le français est… comme un idiome étranger. «Notre langue maternelle, c’est vraiment la langue des signes», affirme celui que tout le monde appelle Pierrot. «Traduit» intégralement Pour avoir accès aux débats de l’organe délibérant, cet animateur socioculturel de la Fédération suisse des sourds a recours aux compétences d’une interprète en langue des signes, qui devrait être financée par la Commune dès l’an prochain. Debout à côté de la présidente du Conseil général, Nathalie Trolliet a donc retranscrit l’intégralité des discussions – noms des conseillers lors de l’appel y compris! – qui ont duré près de deux heures. «Elle suit très précisément tout ce qui se dit et reste fidèle au climat ambiant. Si quelqu’un fait de l’humour, exprime colère ou frustration dans son intervention, elle me le fait comprendre. Cela fait partie de son code de déontologie, au même titre que la confidentialité et la neutralité», explique Pierre Auger-Micou. Inversement, elle a «traduit» pour l’assemblée l’intervention du néoconseiller lorsqu’il est intervenu au sujet de la numérotation des maisons du village. Mais au fait, comment a-t-il vécu cette grande première? «J’ai trouvé la soirée très intéressante. Mais personnellement, j’étais un peu hésitant. C’est normal et je pense que je me sentirai déjà mieux la prochaine fois. » Dans les petits villages, il n’y a généralement pas de partis politiques. Ce qui n’empêche évidemment pas les conseillers d’avoir des idées colorées. Pour Pierrot Auger-Micou, le choix semble bien arrêté. Il ne s’en cache d’ailleurs pas et affirme qu’il se sent plus proche de la gauche et des socialistes que de la droite: «Ce sont eux qui encouragent l’égalité, pour les personnes étrangères et aussi pour les handicapés. En revanche, je n’ai vraiment aucune sympathie pour Christoph Blocher et Pascal Couchepin», reconnaît-il sans ambages. D’ailleurs, le conseiller mathoulon a-t-il des «modèles» ou des personnalités politiques qui l’inspirent? «Je trouve le discours de Pierre-Yves Maillard intéressant. Et j’apprécie particulièrement la conseillère nationale socialiste Pascale Bruderer», explique-t-il. Comptant des personnes sourdes parmi ses proches, l’Argovienne s’investit beaucoup pour leur défense. «Mais nous n’avons aucun représentant sous la coupole fédérale», relève-t-il. Et à ce titre, Pierre Auger-Micou souhaite que les sourds s’engagent davantage en politique. «Mon rêve serait que l’un de nous fasse partie d’un Exécutif, car à ma connaissance, ce serait du jamais vu en Suisse!» Carte de visite Nom - Auger-Micou. Prénom - Pierre. Âge - 42 ans. État civil - Marié à Regina, qui a perdu l’ouïe, et père de deux enfants entendants, Timothy (13 ans) et Matteo (11 ans). Professions - Animateur socioculturel au Centre culturel des sourds de Lausanne, pour le compte de la Fédération suisse des sourds, responsable de la mise en page du mensuel Sourd Aujourd’hui, enseignant des signes de langue française pour les personnes entendantes. Hobbies - Tous les sports non motorisés avec une préférence pour la marche et le vélo («J’ai déjà fait le Tour de Suisse», souligne-t-il), télévision et internet.